Vertigo (1958)

Vertigo sur La Fin du Film

Tu te poses chaque jour la question, lecteur cinéphile et passionné de vérité : peut-on interdire un très beau film, interprété par de grandes vedettes, réalisé par « le plus grand metteur en scène du monde » (c’est Orson Welles qui le dit), magnifiquement photographié, doté de la musique la plus émouvante qui soit puisqu’elle est de Bernard Hermann, dont l’histoire se passe dans la plus belle ville des États-Unis, San Francisco, qui ne recèle pas un atome de politique, et qui n’est ni pornographique ni violent ? Tu te dis qu’on galèje, que nous ne sommes pas encore à la veille du 2 avril, et qu’on se paie ta physionomie – laquelle vaut très cher, c’est certain. Eh bien, si tu veux comprendre plus vite, saute directement à l’antépénultième paragraphe, qui te dira tout, tout, tout sur le sujet. En attendant, voici le récit de Vertigo, film d’Alfred Hitchcock, sorti en 1958 et platement rebaptisé Sueurs froides en français.

Scottie (James Stewart) a dû démissionner de la police : le vertige dont il souffre l’a empêché de prêter main-forte à un collègue en difficulté, qui a fait une chute mortelle lors d’une poursuite sur les toits. Il décide alors de gagner moins en ne travaillant plus du tout, car il peut se le permettre, il a des économies. Pourtant, un ancien camarade d’études, Gavin Elster, qui dirige un chantier naval, lui propose une mission : surveiller sa femme qu’il croit suicidaire, Madeleine, 26 ans. Elle serait hantée par une ancêtre du siècle précédent, Carlota, suicidée au même âge après une existence malheureuse. Or Madeleine ignorerait jusqu’à l’existence de cette femme !

Intrusion de l’irrationnel dans un film d’Hitchcock, tu te dis que voilà bien du louche, lecteur cinéphile. Et tu as raison. Toujours est-il que, convié à suivre discrètement Madeleine par son mari en personne, Scottie se dit en lui-même : « Mon garçon, voilà oune proposition qué tou né peux pas réfouser »… et d’autant moins que Madeleine (Kim Novak) est d’une beauté qu’un rédacteur plus doué qualifierait certainement d’« à couper le souffle », comme ça s’écrit un peu partout sauf ici. Et, en effet, au cours d’une promenade solitaire, Madeleine se jette à la mer, tout près du Golden Gate, ce qui est plus incitatif que de faire ça dans le canal Saint-Martin. Évidemment, Scottie plonge à l’eau et la sauve, puis la ramène chez lui. Ils tombent amoureux, et désormais se voient très fréquemment pour des balades romanesques. Mais il est vrai que Madeleine tient des propos alarmants, et va jusqu’à évoquer sa propre mort… survenue au siècle précédent !

Au cours d’une visite qu’ils font dans une vieille mission espagnole du voisinage de San Francisco, Madeleine pique une crise de cafard, déclare que sa vie est finie, se précipite dans le clocher de l’église et grimpe tout en haut, tandis que Scottie, paralysé par son vertige, est incapable de la suivre. Il n’a que la possibilité de voir un corps tomber du haut du clocher et s’écraser vingt mètres plus bas : Mike Brant a fait une émule avec dix-sept ans d’avance. Catastrophé, il s’enfuit.

Quelque temps plus tard, enquête officielle. Scottie est dégagé de toute responsabilité – le veuf a témoigné que sa femme était hantée par l’idée du suicide –, mais il est publiquement blâmé pour son incapacité qui a déjà provoqué deux décès, et entre dans une dépression nerveuse. Or, guéri mais brisé, il croise dans la rue une femme, Judy, qui ressemble étrangement à Madeleine, impossible à oublier. Il la suit, l’aborde, la supplie de dîner avec lui parce qu’elle lui rappelle son amour perdu, et elle finit par accepter.

À ce stade, nous sommes à une demi-heure de la fin du film, et Hitchcock te dévoile le pot-aux-roses… mais pas à Scottie ! La vérité est que Scottie n’a jamais rencontré Madeleine, car Judy a joué son rôle. Pourquoi ces magouilles ? Parce qu’Elster, le mari, voulait tuer sa femme pour capter sa fortune, et qu’il avait besoin d’un pigeon certifiant que la malheureuse était suicidaire, ce qui était faux. C’est lui qui a brisé la nuque de Madeleine et l’a balancée du haut du clocher, sachant qu’en raison de son vertige, Scottie ne pourrait pas y monter. Or c’est cette révélation bien avant la fin qui a entraîné l’interdiction du film ! Les auteurs français du roman, Boileau et Narcejac, qui avaient écrit leur livre D’entre les morts pour Hitchcock, ont été furieux que le réalisateur change leur dénouement, et lui ont intenté un procès. Que bizarrement ils ont gagné ! Le film a été interdit en France pendant vingt-cinq ans…

Retour au film : amoureuse de Scottie (ça, ce n’était pas bidon) bien qu’elle l’ait mené en bateau, Judy, qui semble n’avoir aucun goût, accepte de se transformer afin de ressembler à Madeleine. Peu à peu, il la pousse à s’habiller, à coiffer, à se maquiller comme « la morte » – croit-il. Et, lorsque la transformation est achevée, il accepte de l’aimer enfin. Mais Judy a commis une erreur, elle a gardé un collier ayant appartenu à la fausse Madeleine, et, quand Scottie le voit, il comprend tout. Il entraîne alors Judy sur le lieu où Madeleine est morte, surmonte son vertige, la force à grimper dans le clocher, et un accident (décidément…) la précipite dans le vide. Morte deux fois !

Cette histoire extravagante a donné lieu à un film romanesque et magnifique. Si tu ne le connais pas, retrouve les détails sur la page d’Allociné, et ne le rate pas la prochaine fois qu’il passe à la télé, comme douze fois par an.